Il n’y a pas de malaise plus grand que celui de quelqu’un qui n’est pas satisfait de son corps, tout comme il n’y a pas d’impatience plus pesante que celle de quelqu’un qui a faim. L’équilibre entre les deux est un point éternellement cherché par l’humain. Il est à la base de l’empire diététique des régimes, des cures aux jus et des pilules miraculeuses. Il débarbouille le cerveau des plus faibles, et parvient même à hanter l’esprit des plus allumés. Il est surtout à l’origine de la pire culpabilité qui puisse être inculquée de nos jours: celle émanant de celui qui mange.

J’aime la bouffe. Je fais partie de ceux qui sont inlassablement gourmands. La santé prime, mais je déteste cuisiner et je ne suis pas amateur de bons restos. Je ne pourrai recommander ni l’immanquable boui-boui du Mile-End, ni la fine fleur du buffet sans gluten, ni l’élite du shish-taouk. Va s’en dire que faire des pâtes trois jours de suite ne m’est pas étranger.

Et pourtant, je ne me suis jamais sentie coupable d’avoir privilégié la collation au rationnement. Mon « métabolisme rapide » a beau me le permettre, c’est à un niveau bien au-delà de celui-là que tout s’y joue, et c’est la devise toute simple par laquelle je mange qui en est le fondement. Elle va comme suit: si tu as faim, bouffe. Et pour de vrai. C’est-à-dire que si tu veux de la crème glacée, n’y passe pas par quatre chemins déculpabilisants – dont celui du yogourt glacé. Il faut y aller à fond. Combler son envie à moitié est toujours frustrant, et personne, je ne dis bien personne ne veux grandir frustré.

Toutefois, la modération a toujours bien meilleur goût. On ne peut pas se permettre que des excès, mais tout le monde peut trouver à bon escient un juste milieu. « Juste » est ici le mot qu’il est important de souligner, puisque se priver de tout ce qui est bon n’est ni juste ni sain, ni pour le corps et ni pour la tête. Être la raison propre de son malheur est bien pire selon moi que d’avoir quelques kilos en trop. Ces cures et ces diètes qui vous promettent bonheur dans des corps d’athlètes ne font que camoufler un désarroi intime qui grandira de jour en jour et qui vous éclatera éventuellement en plein visage, ou en plein ventre.

Catégoriser la nourriture comme ennemi national n’est pas la solution pour s’aimer. Par contre, apprendre à y trouver plaisir en équilibre, les deux pieds sur terre, l’est.