Qu’est-ce qui constitue un souvenir? Le fait de se rappeler d’un moment spécifique? D’une image particulière que l’on garde précieusement dans sa tête? Ce que l’on retient n’est jamais une copie conforme de la réalité. L’imagination et la mémoire sont deux ingrédients indispensables à la recette du souvenir. Ce sont eux qui le rendent délicieux et apprécié, mais aussi instable et peu fiable.

C’est prouvé. Nous pouvons nous construire un souvenir d’un moment que nous n’avons jamais vécu. Nous n’avons qu’à nous répéter encore et encore que ceci ou cela s’est produit, et petit à petit nous pourrons bel et bien le croire.

Le pouvoir de l’imagination est abyssal. On peut y fourrer toutes sortes de choses farfelues, elle ne sera jamais pleine.

La mémoire, elle, est sélective. À la longue, seuls les moments les plus marquants y prennent place et c’est une place de roi. Ils décapitent tous les autres moments dont l’intensité n’a pas été aussi prononcée que la leur, ainsi que toutes ceux qui n’ont rien donné de bon.

Adiós aux milles diners bien arosés que l’on s’est permis en Espagne. Il ne reste plus que ce tristement célèbre souper qui nous a donné la diarrhée. Ciao à la puanteur chronique des rues de Rio. Il ne reste plus que ce lever de soleil mémorable sur la plage. Et tant mieux.

Ou tant pis? À force de ne se rappeler que de certains instants, de certaines personnes, de certaines odeurs, de certaines (més)aventures, de certaines joies, mais de certaines solitudes aussi, le souvenir que l’on se fait d’un moment passé n’est pas vraiment absolu. Ce manque de totalité, ce miroir brisé, encourage alors les attentes, alimente les comparaisons et favorise la déception lorsque l’on s’y réessaye.

Un moment passé avec quelqu’un le lundi ne sera jamais le même que le mardi. Un voyage ne sera jamais identique que celui de l’année précédente. La version 2.0 d’une relation n’aura rien à voir avec l’ancienne. Simplement parce que toutes choses ne sont pas égales par ailleurs, et encore moins soi-même. C’est logique, mais ce sont ces maudits souvenirs gorgés de sentiments qui prennent parfois le contrôle de la raison et qui déçoivent, souvent.

On ne peut rien y faire, vraiment. Il faut juste se laisser caresser par ces souvenirs qui nous bercent, qu’ils soient un tantinet photoshoppés ou pas. La mémoire fait généralement bien les choses, et je suis certaine qu’elle le fait pour les bonnes raisons. En attendant, il vaut mieux se dire que chaque expérience vaut la peine d’être vécue, qu’il faut prendre la vie par les cornes, qu’il faut vivre et laisser vivre, et toute autre expression à la morale douteuse qui fait du bien.

La déception fait partie de l’aventure. Je vous en souhaite des tonnes dans votre vie! Elle nous enseigne que rien ne doit être pris pour acquis, et nous fait comprendre que l’on doit être actif pour recevoir ce que l’on désire. Elle est le troisième ingrédient essentiel du souvenir. C’est pour cela qu’il ne faut pas la fuir, mais plutôt l’embrasser et chercher à la comprendre.