Aller à Ikea est une expédition inaccoutumée, mais fabuleuse en soi. C’est une montagne russo-suédoise d’émotions. Nous avons beau être béat en y entrant, nous en ressortons bien souvent en piteux état. Mais que s’est-il passé?
L’émerveillement
Catalogue en poche, vous avez hâte de revigorer votre salon avec un petit je-ne-sais-quoi qui vient si possible en série et à moins de 50$. Vous savez exactement ce que vous voulez, ou presque. Une belle aventure est devant vous! Vous commencez par trouver comme par magie une place de stationnement tout près de l’entrée. C’est un signe, et un bon. À l’intérieur, tout est merveilleux. Surtout les boulettes suédoises de la cafétéria que vous vous empressez de déguster. Autour de vous, le décor est digne d’un aéroport. Baies vitrées, chariots superposés et ce petit titillement dans votre ventre.
Rassasiés, vous vous engouffrez dans le magasin géant tel le Minotaure dans un labyrinthe, sans fil d’Ariane, mais avec des flèches directrices bien pratiques. Tout est beau, tout est grand. Rapidement, vous vous imaginez y jouer à cache-cache et pariez sur le temps qu’un garde de sécurité prendrait à vous trouver si vous décidiez d’y passer la nuit. Et même! Vous pourriez très bien vivre à Ikea. Il y a tout ce dont vous auriez un jour besoin. Ici, ou en Suède dites-vous, c’est du pareil au même.
La confusion
Ce pourrait être la combinaison des boulettes et du café, mais il rapidement vient un moment de trouble dans votre tête. Vous ne vous rappelez plus de ce que vous étiez venu chercher, de ce à quoi sert ce bidule, et de s’il est vraiment utile pour votre cuisine. Trop de bidules tuent les bidules. Trop de machins c’est comme pas assez. Trop de choix de tissus c’est trop de décisions qu’il faut prendre avec son coloc, son amoureux, ses parents, ou pire, seul.
Vous perdez conscience de la réalité. Quel temps fait-il à l’extérieur? Est-ce socialement acceptable de payer 200$ pour un tableau qui n’est ni de Dali ni de votre grand-mère? Vous ne savez même plus quelle est la couleur de votre parquet. Va-t-elle avec la poubelle en plastique dont vous n’aviez pas vraiment besoin, mais que vous avez décidé d’acheter quand même? Vous ne vous rappelez plus si le nom de la jolie commode était Aspelund ou Aspohland. Non, ça c’est pour la table de jardin. Hagass? Ektorp? Vos neurones sont à la merci d’Ikea qui vous fait perdre tous vos moyens. C’est la faute des boulettes, vous rassurez-vous.
L’exaspération
Mêlée à de la fatigue, la confusion se transforme très vite en exaspération légèrement teintée de colère irrationnelle. Il y a trop de monde et trop de bébelles. Il se fait tard et vous devenez impatients. Vous remerciez les dieux suédois d’avoir inventé la garderie au Ikea parce que vous n’auriez pas pu supporter une horde d’enfants grincheux et turbulents dans ces conditions.
Vous vous disputez avec votre coloc, votre amoureux, vos parents, ou pire, seul dans votre tête. Vous prenez la décision de ne plus rien acheter d’autre, parce que ça favorise la surconsommation, encourage le capitalisme et au final alimente le conflit israélo-palestinien et le réchauffement climatique. Vous ne voulez plus de couvre-lits parce que vous ne voulez pas qu’un enfant de plus perde inutilement la vie. Vous vous orientez donc vers l’entrepôt, qui vous désoriente encore plus. Le seul meuble dont vous aviez vraiment besoin ne se trouve plus en stock? Tant pis. Vous ne voulez que payer vos bibelots et partir d’ici au plus vite. Heureusement qu’il y a 1000 caisses. Caisse, d’ailleurs, que votre maigre portefeuille maudit immédiatement. Vous avez dépassé votre budget. Vous blâmez encore une fois les boulettes.
La résignation
Vous vous résignez à ce que vous avez futilement accompli aujourd’hui. À ce point-ci, vous ne voulez plus vraiment changer le monde. Vous êtes lasses, sans un sou et vous avez un petit creux. Heureusement qu’il y a les hot-dogs à 75 cents, les yogourts glacés et les tablettes de chocolat. Vous vous préparez mentalement à devoir monter vos meubles, avec toute la désorganisation que cette tâche comportera. Vous vous résignez à devoir faire comme tous les autres. Exit le vintage et l’unique-en-son-genre. De toute façon, que vous soyez étudiant ou récemment gradué, votre chez-soi ressemblera au chez soi de tous les autres étudiants ou bacheliers. Mi casa Ikea es su casa Ikea. Mais au moins, vous avez pu manger des boulettes.
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